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Chroniques

Pourquoi j’ai décidé d’arrêter de chercher l’amour (et pourquoi ce n’est pas si grave)

Le sujet a de quoi faire sourire, en cette période à haut-potentiel de complotite aigüe. Pourtant, malgré ces (dé)confinements à rallonge, la nécessité de se retrouver et, corollaire immédiat, de s’aimer, n’a jamais été aussi forte.

J’avoue mener ma barque en temps de Covid assez banalement : mise en retrait de la grande ville pour des espaces plus vallonnés, où seuls la pollution aux particules fines et l’exode massif de Parisiens désorientés rappellent la proximité de ladite grande ville, abonnement à toutes les plateformes de VOD disponibles (oui, j’ai huit yeux), Zoomisme aggravé, conférences en ligne auxquelles je m’inscris sans y assister, claustrophobie familiale enclenchée du fait des fêtes de fin d’année. Moi ? Oui, ça va!

Pitié, pas les applis

Ce temps de profond immobilisme, s’il m’a permis de confirmer mon goût pour l’énergie cinétique depuis mon canapé, m’a aussi offert le loisir de passer en revue mes dernières interactions amoureuses et, plus particulièrement, la manière dont nous nous étions rencontrés. Sites de conversations entre musiciens, soirées chez des amis, coups de cœur fortuits…souvent, l’absolu hasard a primé. Et puis, il y a les applis.

Les sites de rencontres – quasiment la norme, en particulier en temps de pandémie – sont une merveilleuse idée, pour peu qu’elle ne devienne le meilleur moyen de ne jamais se heurter au réel, plutôt que d’y aller, à mains nues (désinfectées), de la glaise jusqu’aux coudes, et de se dévorer des yeux comme jamais (car masqués).

Si les hommes prenaient la peine de parcourir tous les articles, essais, romans, films, séries, podcasts sur les relations amoureuses et se sensibilisaient au poids du care sur les femmes, qui sait, soyons fous, peut-être les jeux du love seraient-ils enfin plus équitables et constructifs?

De mon côté, il m’est tout simplement physiquement et émotionnellement impossible d’entretenir une relation épistolaire avec des personnes que je n’ai jamais rencontrées IRL. Appelez-moi vieux jeu, mais je me perds dans les contextes, les dick pics. Les visages se confondent (les dick pics aussi), la lassitude s’installe, si vite, et l’excitation du début devient une routine de plus, une appli de plus, une dépendance affective de plus. Les photos de ces plateformes ne révèlent rien, mis à part la maîtrise de certains des jeux de lumières, des filtres, et leur don pour le dressage d’animaux sauvages en voie d’extinction. Serais-je en manque de chevaleresque ? De culot, plutôt.

Pas « vraiment »

Plus jeune, j’ai très rapidement compris que cette histoire-là ne serait pas de tout repos : les codes et les règles en tout genre se dressaient peu à peu devant moi, telles des murailles de jugements et conseils contradictoires en tous genres, rendant les choses du cœur bien moins pittoresques qu’attendu (ne jamais coucher avec le [à compléter]ème rendez-vous, ne pas répondre tout de suite, ne pas être trop sexy tout de suite, lui donner le sentiment d’être encore un chasseur-cueilleur, ne JAMAIS évoquer le nombre de nos précédentes conquêtes…).

Et si les applis étaient l’ultime rempart empêchant les hommes de se confronter à l’ère post #metoo et au féminisme flamboyant ?

Alors, dès lors qu’il s’agit de donner une deuxième, troisième, quatrième chance, ne pas envoyer/espérer un message dans l’immédiat, ne pas laisser de message sur un répondeur (posez-moi ce combiné, malheureuse !), de chérir les « lu » et autres petites flèches siamoises bleues comme de saintes reliques, d’accepter qu’il ne soit pas vraiment féministe, ne partage pas vraiment mon sens de l’humour, n’ait pas vraiment de conversation, ne s’intéresse pas vraiment à l’actualité, à la culture, à ma vie, mais qu’il ait un très bon fond…J’essaie hein, je vous assure que j’essaie. Mais c’est très, très, compliqué…

« L’homme que tu cherches n’existe pas, tu sais »

Soudain, à mesure que les invitations entre célibataires se raréfient, au profit d’apéro-dînatoire, brunchs à rallonge et autres dîners-traquenards de couples-les-enfants-sont-chez-leurs-grands-parents-tiens-tu-n’as-jamais-rencontré-Nico-mon-collègue-abonné-à-Valeurs-Actuelles-mais-comment-donc, je me mets à chérir mes moments de tranquillité comme jamais.

C’est que je ne l’avais pas vue venir, celle-là. D’archange de la liberté, la trentenaire que je suis est devenue l’épitome de nos solitudes modernes, l’élément séditieux du régime pacifié des tendresses rangées. Mes refus répétés aux soirées domestiquées ou aux inscriptions avinées aux sites de rencontre sont devenus le signe d’une paresse sociale qu’on ne me connaissait pas. Dans les mots des autres, j’apparais précieuse, fuyante, caractérielle, idéaliste, trop sensible, exigeante.

Mettons les choses au clair : je ne suis pas une réfractaire du sentiment, j’ai même quelques critères, tels que l’humour, et le courage. Regards consternés de mes interlocuteurs : « mais c’est d’un triste, voyons ! »

Et pourtant. Il en faut, de la drôlerie, et du courage, pour croire en ce certain battement du cœur, pour tenir sous le poids d’un regard. Il en faut, du courage, pour s’ouvrir à un nouveau possible amoureux bien qu’on n’y croyait plus, pour aimer en silence, en (l’) attendant, de la drôlerie, encore, pour persévérer, après que l’écran de fumée se soit dissipé, et que les mécaniques aussi complexes, agaçantes que banales de l’autre redeviennent son unique nature.

Je ne cherche rien, sinon à ressentir le juste son, à l’abri du bruit de mes projections et autres blessures mal cicatrisées.

De l’art d’être un transfuge

Aujourd’hui, nombres sont les autrices, dont Eva Illouz, pour déceler tout le politique de la relation amoureuse. L’argent, le pouvoir, tout s’y joue à huis clos. Pliera, pliera pas, chacun progresse sur une partition écrite bien avant le premier regard.

Afro-descendante métisse, de parents immigrés, j’ai bénéficié d’une certaine autonomie culturelle, me permettant de glisser d’un milieu à un autre, prenant chaque rencontre telle une possibilité d’élargir mon rapport au monde, et d’en apprendre davantage, avec une inlassable gourmandise.

Moi, et puis eux. Moi, en face d’eux. Moi, avec eux. Alors, oui, le regard un peu étonné en me voyant apparaître et m’exprimer (« mais…et elle parle, en plus ? ») dans certains cadres, les questions intrusives sur mes origines, mon parcours, avant même de connaître mon prénom me laissera toujours un goût acide sur la langue. Et mes relations intimes n’échappent pas à ce système, loin de là.

Le transfuge, c’est celui qui, hors-cadre, défie toutes les lois de la gravité sociologique, vous savez, celui qui correspond plus à l’astérisque ou à la note de bas de page qu’au chapitre complet. Le transfuge est le revirement d’une bonne vieille jurisprudence confortablement installée. Mouvant, évasif, et adaptable, il est là où on ne l’attend pas.

En amour aussi, il avance à sa manière, perturbe parce que ne s’insérant jamais parfaitement dans la potentielle case prévue à son effet. Parfois, c’est troublant, il en vient à se demander s’il ne serait pas qu’une expérience. Après tout, des gens comme lui, c’est inédit, et la rareté à ce goût d’exotisme tellement tentant…

Des femmes-transfuges (issues de familles immigrées ou non/cultivées/drôles/rebelles/autonomes/ancrées/ambitieuses/introverties/autodidactes/diplômées, malgré ce qui leur était initialement destiné/collectionneuses…), j’en côtoie tous les jours, et toutes éprouvent l’étrange sensation de n’être, parfois, qu’un interlude spectaculaire au sein de conjugalités fanées, ou de repoussoirs pour mâles déterminés à faire plier les plus récalcitrantes…

Pas le temps

J’ai alors réalisé que je n’avais pas le temps. Pas le temps de scroller ces stories Instagram célébrant des couples aux sourires standardisés. Pas le temps de me morfondre sur un célibat qui n’est pour moi qu’un simple état de fait, pas un label tamponné à mon front. Pas le temps d’attendre que ce fameux homme soit enfin disponible (la qualité première chez un homme, pour moi, c’est son célibat, m’a génialement lancé mon amie A. J’y réponds par un amen assourdissant). Pas le temps de scruter dans les cartes les raisons de cette fièvre de ghosting.

La solitude et le célibat représentent deux univers sans aucune complémentarité immédiate et nécessaire.

Également, je ne tenterai plus de faire comprendre qu’une célibataire, loin d’être une flemmarde ou une tentatrice, n’est rien de moins qu’une femme pleinement consciente de sa puissance, et qui se refuse à sacrifier son intégrité sur l’autel de conventions oppressives, lesquelles parviennent à déstabiliser même les plus solides d’entre nous. Loin d’être sexuellement disponible en permanence, il s’agit d’un être doué de sensibilité, de principes, de projets, de doutes, de désirs et de limites, oui, oui, tout comme ces autres qu’on estime rangées. Une femme en couple est loin d’être au placard, alors imaginez une célibataire…

Je suis difficile ? Je prends. Trop exigeante ? J’en reprends. Ce que je me prépare à recevoir n’existe pas ? C’est vous qui le dites. Me radoucir ? Je n’ai pas le bec sucré. Si d’autres ont décidé de rénover une bonne vieille bâtisse réconfortante, tant mieux, mais laissez donc celles qui ont envie de construire la demeure avant-gardiste dont elles rêvent parfaire leurs plans en paix.

Photo par Leeroy (Montreal Web Agency)

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