Arts

Arthur Novak : une invitation au voyage

Vivante, l’œuvre d’Arthur Novak emplit l’espace, l’envahit, jusqu’à réappropriation totale. Comme si un simple cadre n’était pas à même de contenir ses visions luxuriantes, l’artiste trentenaire ose faire gagner à des formes végétales toute l’étendue que l’homme moderne lui a fait perdre.

Il convoque le vivant autour de délicates manipulations, où les feuillages semblent s’imprimer sur le papier, mémoire persistante d’une aube idéale et primitive.

Arthur Novak dessinant dans la forêt

Trépidant, son travail l’est aussi. Le visiteur-rêveur éveillé se surprend à se réapproprier un substantif-matière : bambouseraie. Les assonances et dissonances de ce mot sont tel un poème qu’aurait composé Crusoé dans une nuit de fièvre. Arthur Novak l’a exploré, ce territoire originel, multiple, confinant au sacré, si proche, en Cévennes.

Il a caressé le bois de ces arbres qui ploient sous le poids de nos imaginaires pour les modeler selon la forme de ses souvenirs d’Amazonie. Encore un lieu dont la seule évocation confine au recueillement ému : avec son Orgue de Pan, il parvient à nous attirer vers cette forêt vrombissante, musicale dans l’obscurité, délicate par sa fragile multitude.

Vague Caïman

Il y a également ici comme un peu de l’enfance, qui fait de l’exceptionnel un art de vie, et d’où se détachent des fantaisies impromptues entrelacées au réel. Avec pour guide le souvenir de ses évasions, Arthur Novak se laisse porter, et ciselle chacune des nervures des plantes qu’il dessine.

Il les modèle, ces paysages qui, tels une déferlante de chlorophylle, engloutissent tout, promesse d’une revanche à venir (Vague Caïman). Une main touffue semblable à un décor de théâtre brusquement prend vie, sous l’action d’un astucieux jeu de pliage. La nature n’a donc besoin que de quelques mécanismes secrets pour enfin s’affranchir de notre présence.

Orgue de Pan
Point de vue n° 12

En explorateur humble et bienveillant, Arthur Novak poursuit une œuvre d’admiration et de re-création d’environnements encore intacts. En Amazonie, l’artiste est allé à la rencontre de communautés autochtones auprès desquelles il a appris à faire partie intégrante des éléments qui l’entourent, réminiscence d’un savoir trop tôt enfoui.

Patient, méthodique, il s’applique, par le biais du dessin ou de la sculpture, à nous guider dans ses explorations, nous amenant à nous enfoncer, avec toujours plus de délice, dans des voyages intérieurs de toute beauté. Rencontre.

Quel est votre parcours ?

J’ai tenté de suivre la voie classique, avec un BTS en informatique. Rapidement, j’ai éprouvé un fort rejet et je suis allé à l’envers du chemin attendu. J’ai ressenti un appel vers la couleur et la matière.

J’ai eu envie d’avoir un rapport à la matière autrement que face à un écran ; je voulais alors un bloc d’argile à manipuler dans tous les sens, sans avoir pourtant suivi une formation artistique particulière, si ce n’est au lycée avec des cours de français/philosophie d’où j’ai tiré des références culturelles et artistiques.

Mon entourage m’a soutenu dans ce nouveau parcours, qui m’a conduit aux Arcades (classe préparatoire) et aux Beaux-Arts de Strasbourg, puis d’Avignon.

Avez-vous eu un mentor ?

C’est Éric Mézil [directeur de la collection Yvon Lambert en Avignon de 2010 à 2018, NDA] : je l’ai rencontré à l’occasion d’un stage au musée. Intéressé par mon travail, il a pris le temps de comprendre qui j’étais. Il s’est penché sur des dessins que j’avais faits dans la forêt et qui pourtant, pour moi, n’avaient pas d’importance. Il a révélé à mes yeux la valeur de ce que je faisais.

Il a proposé de me suivre pour me tutorer. Il m’a dirigé vers des expositions, des références ; il a complété ma formation artistique en ayant le rôle de booster, en me faisant passer des étapes.

Éric Mézil m’a donné confiance et cela m’a permis de m’autoriser certaines choses : inconsciemment, on se voile la face devant des évidences et on les cache très profondément en soi, puis c’est quelqu’un d’autre qui finit par vous les révéler.

Exposition DDessin 2018

Quel est votre processus créatif ?

Je ne suis allé en Amazonie que deux fois ; c’est mon imaginaire qui fonctionne beaucoup entre chaque voyage. Je me nourris également de films, de pièces de théâtre. Suite à mes séjours, je digère tout ce que j’ai vu et, à l’atelier, je tente de reproduire ces choses. Il faut que je m’éloigne de mes souvenirs pour créer ensuite des images.

Cabane

D’où vient ce goût pour le retour à la nature ?

Des pulsions m’ont pris il y a quatre ans et poussé à acheter un billet d’avion pour aller dans la forêt amazonienne, sans savoir vraiment pourquoi, mis à part ma passion pour les insectes qui remonte à l’enfance.

Sur place, j’ai pris un plaisir fou et, de retour, j’ai essayé d’en parler en matérialisant ce que j’avais vu là-bas par le biais de mon art.

En guise d’instruments, j’avais pris des grandes bandes de papier que j’avais pliées ensemble pour en faire des carnet leporello, dans une matière qui résistait bien à l’humidité, et des stylos à bille. Sur place, j’ai également récupéré du son, des traces. J’y échangeais des dessins contre des visites par exemple, afin de passer au maximum par le biais du don, du contre-don plutôt que par celui de l’argent.

J’ai eu envie de faire des voyages courts et intenses pour avoir beaucoup de matière. J’ai également commencé à échanger avec des gens sur place, dans l’idée d’y monter des projets dans la forêt. Manque le cadre pour le faire, et une communauté auprès de laquelle m’installer. Ce qui est frappant, là-bas, c’est la capacité des personnes à vivre dans la forêt, jusqu’à en devenir une cellule.

Arthur Novak dans la forêt amazonienne

Pouvez-vous nous parler des œuvres Point de vue et l’Orgue de Pan ?

Les œuvres Point de vue, à la base, ont été faites pour compléter des sculptures. On y distingue des percées par endroits ; par ce biais, j’ai joué avec la perspective, le point de vue, pour donner une impression de profondeur dans la forêt. Je m’y invite à l’intérieur tout comme le spectateur, en reproduisant la sensation de pouvoir écarter les branches à la main ou à l’aide d’une machette, et d’enjamber la nature pour découvrir ce qui se cache au fond, vers cette lumière. Ces œuvres racontent le plaisir d’emprunter un chemin et de se laisser porter.

Point de vue n° 13

Concernant l’Orgue de Pan, c’est un film qui m’a donné l’envie et l’idée de travailler sur le thème de la forêt et de la musique : Fitzcarraldo de Werner Herzog. Ce qui m’a inspiré, c’est l’image de la vague, la figure des Indigènes tirant le bateau dans la montagne, la musique d’opéra dans la forêt.

J’ai également gardé en tête l’idée de la flûte de Pan, dont je ne joue pas mais qui est un instrument très utilisé dans la forêt amazonienne. Puis j’ai réuni ces deux instruments – orgue et flûte de Pan – qui, en apparence, n’ont pas de lien.

C’est à Anduze, qui est la plus grande bambouseraie d’Europe, que j’ai pu trouver, pour cette œuvre, des bambous que la directrice a accepté de me donner.

Pendant l’exposition, la question la plus fréquente a été de savoir si on pouvait en jouer. J’ai beaucoup travaillé sur l’image et l’aura que cet instrument pouvait avoir : le seul fait que cette question ait été posée, c’est que l’œuvre a fonctionné.

Orgue de Pan, vue d’exposition à la Collection Yvon Lambert

Comment s’organise votre travail ?

Comme beaucoup d’artistes, j’ai des rythmes de croisière et des périodes de rush (parfois cinq œuvres en deux semaines), cela vient par pulsions. En ce moment, je fais des sculptures qui invitent à une autre gestuelle.

On peut le voir avec La vague caïman, pour laquelle l’étude du travail d’Hokusai m’a beaucoup nourri : l’idée principale est le voyage et la métamorphose d’un paysage à partir d’un geste. Une fois déplié, on a la forme d’une végétation et, plié, la forme d’une vague.

Arthur Novak, vue de l’exposition Dérapage

Des lectures majeures ?

Marcel Mauss, Lévi-Strauss, que j’ai lu après le voyage ; avant, cela a été Onitsha de J-M-G Le Clézio, qui m’a énormément touché et donné matière à réflexion. Il est pour beaucoup dans mon envie d’évasion.

Avez-vous un « grigri » de voyage ?

Une boîte de sardines de chez Lidl, toujours la même (rires).

Qu’avez-vous envie de transmettre ?

D’abord, il y a le plaisir que je prends à explorer. Je suis également particulièrement inquiet par les évènements en cours, par la destruction de la forêt ; je pense que j’essaie d’alerter, mais de façon poétique. J’ai envie d’en parler en faisant rêver, d’essayer d’emmener le public en rêverie poétique autour de la forêt amazonienne.

Point de vue n° 14
A la H Gallery
@Arthur Novak

(Article publié pour la première fois dans Art’ nMag #7)

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