Dans la cabine
Il est fort probable que la cabine d’essayage ressemble, à s’y méprendre, à l’antichambre de l’Enfer. Ou à un paradis perdu, selon la saison.
Au départ, tu glisses plusieurs fois entre les rayons, les bras chargés d’articles que tu auras une chance sur cent de porter (“mais si, le vert pomme finira par être à la mode!/ Grâce à mon régime noyau de cerise, je vais retourner à mon 36 et demi en un mois, autant refaire ma garde-robe de suite!”).
Mais le doute s’installe, et, avant de passer en caisse, tu te demandes si tu as fait le bon choix en sélectionnant pas moins de quinze articles dont treize chemisiers quasi-identiques. Malgré la force mentale que requiert d’attendre aux côtés de ces filles en talons de douze patientant pour essayer un débardeur en taille zéro, tu optes pour un passage en cabine.
C’est là que tu la rencontres, elle, la personne la plus détestée de l’Ouest, j’ai nommé, le responsable de cabine.
Passant outre sa mission initiale, il s’est autoproclamé grand dispensateur de conseils pourris en tous genres: “vous êtes sûre pour la mini? Parce que je vous voyais plus avec une longue jupe plissée en fait“, ou encore, “non mais vous avez été très ambitieuse avec ce jean slim…vous avez regardé du côté de nos pantalons larges, au fond du magasin, du côté des invendus, là où la lumière ne fonctionne plus?”
Parfois, son seul silence, alors que tu tentes une combinaison dorée, suffit à te décourager.
Un manuel de méditation pré-essayage devrait être distribué gratuitement dans toutes les boutiques, afin de coacher ces générations qui pleureront en silence aussitôt le rideau tiré, alias, le bout de tissu bien trop étroit/ trop court destiné à révéler, selon ta dextérité, un bout de décolleté, de fesse, ou de mollet pas mal épilé .
Enfin, te voici face au Miroir.
En cabine, contrairement à la glace de ta salle de bains à l’ampoule unique, dont l’éclairage approximatif te fait des hanches canons, Le Miroir reflète des mensurations inconnues, auxquelles tu n’étais pas préparée…malgré la bûche de Noël, le double burger et la gaufre supplément caramel au beurre salé hebdomadaires .
Au fil des essais, ce minuscule espace entre l’entrée et la caisse devient le purgatoire de tes envies comme de tes doutes: tu y abandonneras sûrement, déçue, quelques centimètres de toile trop coûteux et mal taillés, mais tu oseras te draper dans cette robe de drama-queen qui te faisait de l’œil depuis des semaines, et, pendant quelques minutes, qu’importe la file des clientes trépignant d’impatience d’essayer leurs rêves de coton et de polyamide, tu reprendras peut-être, enfin, conscience de la beauté de ce corps qui te supporte autant qu’il t’encombre.
Et puis, le visage si près de ton reflet, tu songeras à ce geste qui guérit tout: te sourire…et acheter cette fichue combi, non mais!