Etienne boissier artiste
Arts

Les contemplations d’Étienne Boissier

C’est dur de parler de soi. L’artiste qui dévoile des morceaux choisis de sa vie sur Instagram (ses rendez-vous de 18h sont des immanquables) n’est pas homme de vains bavardages. Il s’exprime, prudent mais direct, ancré dans un quotidien dont il surmonte les aléas à coups de pinceaux pressés, vivants. Le Parisien est un autodidacte forcené, de ceux qui, très jeunes, parvenaient mal à entrer dans les cases auxquelles on craignait trop qu’il puisse y créer des fenêtres et des passerelles. Qu’importe, l’artiste est une école à lui tout seul.

Déjà, au collège, les élèves me demandaient de terminer leurs dessins. Très vite, il sent que le seul sentier qui vaut la peine d’être exploré est celui de sa passion. Tu seras pauvre, par contre, le prévient-on. Même pas peur ! Il s’affirme en persévérant dans cette voie où l’errance n’est pas exceptionnelle : au contraire, il sait l’accueillir avec une délectation certaine. A ses côtés, on se régale, à la vue de ces instantanés de vie citadine.

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Etienne Boissier, Homme sur le trottoir (acrylique, 54×65, 2023)

On lui objecte que ses sujets d’élection sont trop durs, que la misère n’est pas une ornière où puiser inlassablement. A ses yeux, tout au contraire, les ignorer serait les trahir, ne pas les ériger en sujets à part entière les condamner à l’invisible. Etienne Boissier n’apprécie pas les faux-semblants, quitte à offrir à la laideur des lettres de noblesse qu’elle n’espérait plus. Un emballage froissé de capote (Durex), la blouse sale, tachée de sang d’un artisan portant une carcasse à l’aube (Le boucher), il s’autorise à tout voir, et nous avec lui : j’aime voir les coups de pinceaux, l’épaisseur, la crudité.

Boissier retient le temps et documente l’émerveillement qui le traverse. Il faut que cela parle aux gens ; il élabore ses peintures à partir de croquis et, plus souvent, de photographies. Figer ce que l’on ne veut pas voir, c’est un peu, aussi, retenir une époque, un lieu et des visages, des corps aimés. Ses carnets racontent au pastel gras la tendresse pour ses proches et rassemblent, par petites pièces éparses, des amours d’hier, persistance rétinienne de tout le tendre qui fut.

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Etienne Boissier, Durex (acrylique, 20×20, châssis 3D, 2023)

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Etienne Boissier, Taxi phone (acrylique, 40×40, 2023)

Son expressionnisme figuratif témoigne de sa tendresse pour l’imperceptible : c’est le visage de ce cuisinier éclaboussé par la lumière de son feu (Le cuisto), cette devanture de supérette de quartier qu’on croirait éternelle (Market), les yeux mi-clos de cet homme assis, qui pourrait être un voisin, un ami, mais dont les effets personnels à ses pieds rappellent les précipices qui nous séparent (Homme sur le trottoir), c’est cette échoppe de réparation de téléphone que l’on croise partout et qui soudain, s’ancre dans la grande histoire (Taxi phone). 

Alors que nous échangeons, une fillette se glisse dans la galerie, et choisit L’aube pour tableau préféré. Ce dégradé de bleu sur la ville endormie semble gommer tout le sale du bitume, un nouveau possible que Boissier s’est offert à l’issue de ses déambulations nocturnes – la ride, comme il aime à la désigner – dont il parvient à tirer une inspiration sur le fil, débordante d’une lumière lustrée comme si tout était encore possible.

Etienne Boissier, Le boucher (acrylique, 60×60, 2023)

Le geste est rapide – la peinture acrylique sèche vite – et le temps d’exécution d’une oeuvre l’est tout autant : de cinq à six heures, parfois le temps d’une nuit blanche. Boissier s’attache à la structure, soigne ses perspectives et ses points de fuite, comme s’il s’attaquait à un sujet classique : rendre justice au banal en lui faisait les honneurs des canons de l’esthétique académique.

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Etienne Boissier, Le cuisto (acrylique, 60×60, 2023)

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Etienne Boissier, L’aube (acrylique, 50×50, 2023)

A le voir, juché sur un manège pour enfant (DADA), mine impassible, on le croirait presque parti en une croisade tragi-comique : non à l’art comme simple objet de décoration ou de performance sociale ! Boissier envoie un bon coup de coude à notre rapport tout-confort au monde : il choisit le 8 mars pour délivrer Black girl matters, peint un autoportrait sur la cuvette de ses wc (L’emmerdeur III) : autant d’opportunités de rappeler que l’art s’expose autant qu’il s’impose aux vivant-es. Il est la chair et le sang de nos révolutions intimes, à l’instar du bouillonnement intellectuel à l’origine de L’Ecole de Paris, filiation que le peintre embrasse pleinement, sans compter d’autres figures puissantes : Lucian Freud, Chaïm Soutine, Balthus, Julian Schnabel… La parenté semble d’évidence, l’identité Boissier en plus.

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Etienne Boissier, DADA (acrylique, 73×92, 2023)

Etienne Boissier, L’emmerdeur III (acrylique, 50×70, 2023)

L’entourage dit beaucoup d’un artiste et, de fait, Boissier sait s’entourer de ce que la nouvelle scène parisienne fait de mieux : Emmanuel Mousset, Jill Chauvat, Antoine Paris, MC Blue Matter…autant de noms qui sonneront bientôt, à n’en pas douter, comme les synonymes de l’avant-garde française. Il y a ces collectifs aussi, à géométrie variable, qui composent un entrelacs passionnant d’impulsions et d’inspirations, notamment FISO (pour Figuration Sociale) aux côtés de Pierre Gregori, son ami et confrère de pinceaux avec lequel il expose actuellement au 389 La Boutique (rue des Pyrénées, Paris 20ème), galerie d’art d’un nouveau genre, entre performances, expositions et rencontres, dirigée de mains d’orfèvre par Alexis Baaklini Gas. 

On pourrait parcourir cette exposition avec Sign O’ The Times de Prince aux oreilles : il y a dans ces éclaboussures de peinture à l’épaisseur gourmande une envie de dévorer tout ce qui fait de Paris cette ville magnétique et mélancolique. Un puissant catalyseur à imaginaires accidentés, mais au creux d’un rêve qui perdure, s’agrippe à la manche même lorsqu’on s’applique à l’épousseter très fort : Boissier est de ceux qui en récupèrent les copeaux pour en faire de l’or. Un artiste incontournable est né.

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NB : L’expo est prolongée jusqu’en automne !

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