Maison Geneviève Paris : mode capitale
En le voyant entrer dans ce café du 12ème arrondissement, on comprend de suite à quel point sa mode lui ressemble : François Laurendeau est un styliste apaisant et réfléchi, passionné et structuré.
Il possède la patience grave des artisans, tout en embrassant pleinement cette ère de l’image et de la surexposition : avec sa marque, Maison Geneviève, il propose un vestiaire masculin/unisexe aux coupes d’inspiration militaire, ancré dans une démarche upcycling, déterminé à ramener de l’humain et de l’histoire au cœur d’étoffes qui couvrent et protègent.
Sur sa page Instagram, des séries photographiées à l’argentique se dévoilent, à la pellicule consumée par endroits, réponse à la censure et goût pour une esthétique accidentée, punk par essence.
Ses pièces, harmonieusement déstructurées, sont autant de réfractions d’éléments que l’on imaginait impossibles à réinventer. L’imperméable à la papa, créé à partir de toile de parachute avec fils de marquage apparents, fait office de nouveau classique, tandis qu’une veste de travail en toile épaisse se retrouve sanglée et pré-tachée, œuvre d’art clamant fièrement un passé inédit à son heureux détenteur.
Son parcours :
J’ai toujours eu un attrait pour le vêtement. Plus jeune, cela restait assez superficiel, « bricolage » : découper d’anciens vêtements, les rassembler avec des épingles à nourrice. Un côté punk que l’on retrouve désormais dans mes photos.
Post bac, j’ai fait un an de médecine, puis une licence d’économie durant laquelle j’ai fait un stage chez une couturière-costumière pendant deux ans : cela allait de la retouche au costume.
Début 2012, j’ai commencé à faire une trousse, un sac : j’avais un ami qui allait les vendre en Corée, donc on a commencé à faire des prints franco-coréen. C’était marrant ! L’idée du sac, c’était un tote-bag, mais doublé, suffisamment épais pour tenir debout (il en reste quelques pièces sur Etsy, NDA) donc déjà, à l’époque, il y avait cette envie de quelque chose d’assez robuste.
Je suis rentré à ESMOD en 2ème année : ça n’a pas été simple, mais cela a été une année de débrouille, entre étudiants, on s’entraidait jour et nuit. Puis, en 3ème année, spécialité homme : j’y ai fait cette collection sur laquelle je prends en ce moment des photos. Là, ça été super enrichissant, profs géniaux, avec des gens qui savent vous défendre.
Ensuite, je suis entré en stage chez Coltesse, une marque homme plutôt minimaliste chez qui je travaille désormais en freelance. C’est un super boss, qui me laisse beaucoup de liberté. J’y fais un peu de stylisme, un peu de modélisme. Beaucoup de responsabilités, beaucoup de transparence : la société est à taille humaine, et tout ce que j’apprends là-bas me nourrit.
Pendant mes journées off, je peux travailler au développement de ma marque : en juin, je devrais lancer quelques accessoires, tee-shirts et hoodies, deux pantalons, deux vestes, un costume revisité.
Le nom de sa marque :
C’est le nom de ma mère : c’est elle qui m’a appris les bases qui m’ont permis de faire un pantalon. C’est avec ces bases que j’ai pu me lancer. J’aime ce nom élégant, ancien.
Son premier souvenir de mode :
Petit, je n’aimais pas les shorts. Et le style ultime pour moi, c’était les Clash, avec le perf’, le tee-shirt déchiré, ce côté custom, débrouille dans la fringue, fais le toi-même.
Ses sources d’inspiration :
Côté créateurs, ce serait Margiela, dans cette manière de réinventer le vêtement, dans l’expérimentation. Il n’utilise des matériaux ni nobles ni intuitifs. Moi-même, j’utilise pas mal de bâches de camion, de parachute…J’aime aussi Craig Green, pour ce côté un peu militaire, les poches bien dessinées, une certaine rigueur que je trouve assez élégante.
J’aime l’idée de faire revivre le passé, ce côté nouveau luxe, hardwear, une manière de faire le vêtement très résistant, ce qui représente l’aisance, pour moi. Plus jeune, je portais des slims ultra-serrés à l’anglaise, ce qui était tout sauf pratique !
Le but, c’est donc que je fasse un vêtement qui soit agréable, mais aussi un peu dur, pour avoir l’aisance de faire n’importe quoi avec. Je me frotte contre un mur, et je n’en ai rien à faire (rires). J’aime ce côté vêtements de combat, prêts à tout.
Je travaille en musique, c’est ma drogue de travail, notamment Niels Frahm, The Rolling Stones… Côté films, je dirais que j’ai une référence constante : Mad Max. J’aime ce côté post-apocalypse du 1 : les vêtements y sont déconstruits, refaits, parce qu’il n’y a plus de ressources, et en même temps résistants face à la brutalité du monde.
Sinon, j’écume les archives militaires : j’aime ce côté paré à tout, les poches sont bien pensées. J’achète des pièces que je garde, comme des harnais de parachutes, pour la manière dont c’est cousu, pensé, je trouve ça très intelligent.
Ce serait presque un rêve de bosser pour l’armée, de me concentrer sur la fonctionnalité plutôt que sur l’esthétisme. J’adore ça ; j’essaie de me constituer des archives de toutes les armées, d’aller voir dans les autres pays ce qui a été fait.
Son processus créatif :
Avant, j’étais un peu brouillon, mais, maintenant, j’achète des matières coups de cœur, et les modèles suivent. Évidemment, j’essaie de suivre un plan de collection réel, en dehors des accessoires.
Pour la collection qui vient, le but serait d’avoir quelques matières, très basiques, comme de la gabardine de coton blanche, faire des teintures irrégulières dessus moi-même, utiliser d’anciennes matières comme des bâches de camion. Je dois justement me rendre à Rouen pour aller dans un stock de fripes.
L’idée, ce serait de faire des séries de 10 : acheter des chemises en bon état, faire un patronage de chemise qui me plait, prendre le tissu, juste le tissu, mais garder cet esprit « chemise ancienne », puis faire une série de chemises selon le même patronage mais dans des tailles et des couleurs différentes, avec une petite histoire. Puis, fini, on passe à un autre modèle. Je trouve que l’idée de la pièce unique est super, mais la série rend le vêtement plus accessible.
Le « genre » de son vestiaire :
A l’origine, en femme, je faisais des vêtements déjà hybrides, militaires, un peu fou-fou, tellement qu’on a voulu me diriger vers la création scénique. J’habillais les femmes comme les hommes. Il y avait aussi une volonté très égocentrique de s’habiller soi-même.
Avec ma marque, cela reste de l’homme, c’est sûr, mais peut-être qu’un jour, je ferai de la femme. J’ai déjà prêté des pantalons, sur des shootings, à des femmes et je trouve que cela leur va soit mieux, soit également qu’à un homme, donc je trouve intéressant de proposer les deux.
Pour autant, cela reste un sizing homme, mais je pense faire une charte de tailles pour les femmes. Et puis des accessoires totalement unisexes, assez brut dans l’esprit.
Sa définition de la mode :
La mode est une manière de s’exprimer ; même dans mes photos, j’essaie de la faire percutante, il y a des à-coups. J’aime les artistes torturés comme Egon Schiele ; ce côté torturé, j’essaie de m’en débarrasser, mais il est toujours un peu là, du coup, je joue avec.
Pour moi, dans les vêtements, il y a cette idée principale de protection, avec, par exemple, ces grands cols pour ne pas trop voir les gens.
Sur l’avenir de sa marque :
Je n’ai pas peur de galérer : j’ai envie de faire ma marque, et même si je sais que ça va être compliqué, tant pis. J’aime l’idée de faire les choses moi-même, d’un travail ultra-personnel. Travailler pour quelqu’un d’autre, pourquoi pas, si ma marge de manœuvre est assez grande.
J’aimerais partir du système de collection : l’idée est de proposer quelque chose de constant, parce qu’on est dans une époque où les gens sont à l’affût de choses nouvelles. Je trouve cela moins contraignant financièrement, et plus réaliste face à des vêtements, comme la veste de travail, que l’on va porter en été comme en hiver, qui n’ont plus trop de saisons.
J’ai toujours aimé la liberté de Yohji Yamamoto qui ne s’embarrasse pas d’utiliser du lin en hiver comme en été. C’est plus stimulant. Ader/Error faisait cela au début, et ne présentait pas de collection, juste des pièces, au fur et à mesure. Il y a un côté artistique dans la création constante, sans contraintes, en proposant ses propres séries.
L’inspiration de sa prochaine collection :
Très militaire, assez oversize. Je vais essayer un peu plus de déformer le vêtement, sans le rendre trop contraignant, avec des épaules à l’emmanchure très ronde, des fournitures chinées en petites touches… Des vestes de travail sanglées, aussi. Je vois bien un tee-shirt dont on bloquerait dans le col un pli, histoire de le rendre moins commun.
Dans 5 ans :
J’aimerais bosser avec d’autres gens dans la même humeur que moi. Dans l’idéal, avoir un atelier-boutique : j’aime l’idée d’entrer dans un lieu, et d’y découvrir tous les petits secrets de fabrication. Cela légitime également un prix – quand on achète un tee-shirt à 10 ou 20 euros, on se doute qu’il y a un problème – cela éduque de voir un humain derrière le vêtement.
(Article paru pour la première fois dans Beware Mag, le 27/02/2019)