Arts

Sophie Martin, radiographie du cœur amoureux

Cette semaine, j’ai déambulé dans les rayons de la Fnac, à la recherche de poétesses auprès desquelles puiser des forces et mieux vivre mes déambulations citadines de célibataire toujours pas désolée de l’être, parce que le réel n’est rien sans un idéal, que tu représentes, mais cela, tu ne le sais pas.

Sauf parfois, mais de plus en plus rarement, à l’aune de la nuit, en songeant à ce restaurant près des arènes, où j’aurais rêvé partager cette table avec toi. Mais tu es heureux et lointain, passons.

J’en suis repartie avec un ouvrage pour lequel je n’étais pas venue, comme souvent. Avez-vous déjà fait la rencontre que vous n’attendiez plus, ce bon moment un peu rond et chaud qui dit plus de vos espérances que vous ne l’attendiez ? Cela a été le cas avec « Classés sans suite », le si beau premier recueil de poèmes de Sophie Martin.

L’anecdote/antidote : à la Maison de la Poésie, où j’aurais presque envie de déambuler tous les soirs, en pyjama satiné et pantoufles géantes, tant je m’y sens paisible, je me suis coulée dans un fauteuil, parce que je n’avais pas envie de rentrer chez moi tout de suite. Rapport à ce soir d’été indien à la tiédeur ambrée.

La voix de Sophie, détachant les morceaux savoureux de La disgrâce, avec cette malice mâtinée de gravitas, c’était ce dont j’avais besoin. Une jeune femme de ma génération narrant ses introspections amoureuses – mais pas seulement – que nous partageons tous. Comme elle est drôle, et touchante, je voudrais boire un thé avec elle, je me suis dit et, pourtant, je n’ai pas ri, ou alors peu, tant les déliés de cette tonalité presque monocorde entraient en dialogue avec mes propres considérations intimes.

Sophie Martin ne craint pas de s’affranchir des barrières que nous dressons autour de nos maillons faibles. Elle les érige, au contraire, tout au sommet, loin de l’abîme ; alors on se prélasse avec gourmandise dans cette langue riche, précise et précieuse. C’est qu’elle a du cran, Sophie, de juste dire. De dire juste. Au nom de tous les solitaires, de toutes nos indicibles solitudes.

Quand vous l’aurez entre les doigts, étirez le plaisir surtout ; il ne faudrait pas faire comme moi. Ne pas lire ce recueil d’une traite, puis chacun des poèmes plusieurs fois, le temps d’une nuit, en retenant son souffle par moments, tant c’est important. Nez, paupières, poignées d’amour, je me suis lovée toute entière dans ces textes. J’en suis revenue presque plus brave, toujours aussi amoureuse, mais prête à me libérer de toi ici même, entre ces lignes. Faire place nette pour l’autre, parce que c’est si bon, l’odeur de l’adoucissant, sur une taie d’oreiller fraîchement repassée.

Après la lecture, j’ai ramassé mon courage, et ai doctement tendu mon exemplaire à l’autrice. La voir de si près m’a émue, parce que l’estrade, cela éloigne, impressionne, nimbe d’une aura, et j’ai sûrement bien trop appuyé mon « j’ai été très heureuse de vous rencontrer », car qui ose être heureux, aujourd’hui, et planter cet état avec un air aussi résolu, malgré la distance et le.s masque.s ?

Pardon, Sophie, mais cela m’a tant fait de bien de t’écouter lire ce que je lirai moi-même avec tant de joie – parce que tes mots, ton lyrisme enchanteur, comme des sœurs que je rencontre pour la première fois tout en les connaissant depuis toujours – que j’ai voulu te passer un peu de cet enthousiasme dont je savais qu’il infuserait le reste de ma semaine. Qui en devient soudain le début.

Classés sans suite, de Sophie Martin (ed. Flammarion)

Mes coups de bambou : La prière des filles perdues, La disgrâce, La rupture sans peine, Les mortes.

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