Arts

Kim Tschang-yeul, peine éternelle

On dirait des perles de pluie, déposées à même un tissu rugueux. On dirait des larmes d’hier, immortelle tristesse. De la lumière passe au travers : on croirait qu’un minuscule diamant y a été figé. De la toile exsudent des gouttes, témoignant d’une présence infime, fragile, prête à éclater, et imbiber le support.

Kim Tschang-yeul, “Waterdrops” (1988), Oil on hemp cloth (Pulpo Gallery)

L’œuvre de Kim Tschang-yeul (1929-2021) répond à une douleur inconsolable, celle d’avoir mené une vie inutilement compliquée. Pourtant, cette existence-là, comme souvent, collectionne des parts d’infimes et d’extraordinaires, nourrissant la psyché d’un artiste obnubilé par l’élément aquatique.

Portrait de l’artiste

Qu’elles soient déposées sur un espace vierge ou chargé de lettres, ces gouttes témoignent d’une tentative dérisoire, sublime, émouvante, de capturer un peu de paix, le long d’une vie de drames et de déchirements. Harponné par la guerre de Corée (on marchait la nuit, on dormait le jour, dira t’il), Kim Tschang-yeul témoigne de l’impalpable légèreté de l’être, malgré le chaos.

Kim Tschang-yeul, “Le Figaro” (Hyundai Gallery)

S’il n’y avait pas eu la guerre, j’aurais peint des fleurs, des femmes, des paysages. Alors on s’avoue qu’un grand créatif se révèle souvent sous les balles, la fureur, les cris. Et on le remercie de porter la voix de la majorité silencieuse, celle qui ne parvient pas à donner corps à ce qui l’a brisée jadis. Des méditations encapsulées pour avancer, mieux.

Sans titre, Kim Tschang-yeul

Plus qu’un peintre, un philosophe taoïste, précise un de ses proches. Il est vrai que cette école de la quiétude et de l’harmonie irrigue la démarche de l’artiste. On se surprend à compter ces microcosmes, à les lisser du regard, espérant en percer le secret. Surprise, il s’agit d’une peinture en trompe-l’œil. Si solidement suspendus, ils confèrent aux œuvres l’espérance d’une éternité. Le monde change ; ils demeurent.

Kim Tschang-yeul, “Recurrence”
Kim Tschang-yeul, “Waterdrops”(1985), Oil and indian ink on canvas (Almine Reich Gallery)

NDA : Toutes les citations en italique sont tirées du très beau documentaire « L’homme qui peint des gouttes », de Oan Kim et Brigitte Bouillot (Paraiso Production).

Copyright@Kim Tschang-yeul

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *