Sous l’objectif de Ryan McGinley – Docteur Brad versus Mister Pitt
Il y a quelque chose de l’ordre de l’extra-humain sous l’objectif de Ryan McGingley : il sait donner ce qu’il faut de lumière et de chaleur pour animer l’objet de ses attentions. Sensuels, sincères, les corps se révèlent dans une simplicité désarmante.
Ce n’est pas « juste » Brad Pitt. En réalité, le mot est tellement galvaudé qu’il finit par déshumaniser celui qui le porte. Plus qu’une identité, c’est une marque de fabrique, un label qui a conquis le langage courant.
On en viendrait presque à oublier sa vocation d’acteur : qui se souvient de sa prestation dans Twelve Years A Slave, ange salvateur posé là, méfiant et craintif, ou de son magnétisme dévastateur dans The Tree of Life ?
A la faveur d’un entretien accordé par l’acteur à l’édition US de GQ, le photographe prodige (que votre serviteur évoquait déjà ici il y a trois ans) renverse la table et expose la star comme rarement.
A l’instant où l’on pense glisser dans le versant arty-chic sirupeux, l’artiste nous offre en sacrifice ses éraflures. Et puis ses yeux trempés, liquides, éperdus.
A l’échelle du mythe, que reste t’il de l’homme, engoncé dans un luxe qui ne fait que l’esseuler davantage, et l’éloigner de son art ? Tentant de l’atteindre dans sa chair, Ryan McGinley ramène à nous un peu de l’enfant gâté.
(“l’art du placement de produit me laisse songeur”)
Les fluides qui vous parcourent sont aussi les miens, semble t’il affirmer, tandis que le temps s’impose à lui, implacable, s’infiltrant dans les sillons endoloris de son visage amaigri.
Inédit, ordinaire, c’est dans les tréfonds de cette humanité là, amère et silencieuse, que Ryan McGinley tire des clichés parfaits.
Le cinquantenaire épuisé, avec ses tatouages effacés et sa gueule tordue, dépose sa peine ici, fier et chancelant. On en oublierait presque qu’il n’est que ce que nous en avons fait : une légende, avec toute l’infinie solitude qui s’y rattache.
Photos@RyanMcGinley pour GQ US