Chroniques

« Let’s talk about sex»

Et, à ce titre, rien ne vaut une immersion en terrain inconnu.

Du courage.
Je m’interroge sur la situation des livres interdits. Entre la section « Développement personnel » et « Naissance », je localise un micro rayon, une colonnade de cent quatre vingts centimètres sur quarante. Une fantaisie face au colossal rayon Régime-minceur et, lui faisant face telle une réponse/une cure, le secteur « Cuisine ». L’ultime pugilat entre bonne chère et mauvaises graisses, un délice de paradoxe.

La place semble désertée, juste quelques futures mamans et des chefs de rayon affairés. Pourtant, j’hésite: ne devrait-on pas attendre la bonne rencontre avant de se lancer dans de telles lectures ? Et si cela me renvoyait à une nouvelle sexualité, trop cérébrale, vide de toute spontanéité? Mais renverser les a priori de mes congénères homo sapiens aux ébats officiellement accomplis, cela n’a décidément pas de prix.

Admettre qu’on veut savoir…
Pas envie de m’endormir devant mon ordinateur, en mode navigation privée. L’objectif de cette immersion est aussi d’admettre que cette thématique est trop volontiers abandonnée à une triviale grivoiserie plutôt que d’être abordée frontalement. Un éternuement dans mon dos et je me jette sur le premier livre qui traîne : « Bientôt Papa ». La belle affaire.

Nouveau calme environnant. Je tend la main. Des éclats de rire. En nage, je fais mine de me passionner pour l’insondable « Comment réussir ses recettes à base de Kiri ». Une bande d’ados laisse éclater des voix en mue, et s’attarde à mes côtés, feuilletant le Kâmasûtra. Amateurs, va.

…et réaliser qu’on n’est pas seul dans ce cas.
Quelques hommes solitaires, la soixantaine boudeuse, se risquent à parcourir des yeux ledit rayon. Ils ne tremblent pas, se contentent de lire les titres roses, blancs (code couleur discutable) sans les toucher, tels des collectionneurs avisés. J’ose jeter un regard vers leurs visages : neutralité de l’expert. Interprétation choisie: “le sexe, bah, il n’y a que les novices et les gamins que ça excite. Moi, j’ai passé l’âge !”.

Redoublement de confusion sous mon chapeau à large bord (me cacher des regards indiscrets? Moi? Pff). Se documenter, est-ce impudique, ouvertement déviant ? Et si je filais plutôt avec un énième ouvrage de facture plus classique ? Un bon Nicolas Fargues, un Camus, un passe-montagne, tout est bon pour éviter la remise en question.

Deux jeunes femmes s’avancent. « D’après toi, comment je pourrais réussir à lui faire ÇA? » soupire l’une d’elle, sous la mine désolée de l’autre. Tout un programme! Mais où sont-elles donc passées, les conversations badines entre amis, autour de deux cafés latte? Celles qui vous empêchent de vraiment regarder dans les yeux  leurs  tendre moitiés? Planquées à l’ombre d’un volume de “Cinquante Nuances de Grey”, je suppose?

Je sais que je ne sais rien.
Une pause dans le fourmillement incessant de chalands m’indique le signal du « défi à soi-même de la journée ». Le crissement d’un chariot : je serre les dents, m’efforçant de faire taire mes craintes puritaines, ancrées dans chacune de mes phalanges tremblantes.

J’arrache de sa gangue de teck premier prix ma cible. Rien de neuf sous le soleil, si ce n’est le plaisir de lire une auteure qui, enfin, pose des substantifs précis et fournit un éclairage sincère sur ce qui reste un apprentissage, souvent relégué au bon-vouloir des partenaires (plus ou moins pédagogues) et de films en clair-obscur. L’instinct donc, et puis, surtout, la chance. Beaucoup de chance…

Assumer toutes ses lectures.
Alors je me plonge dans mon livre, je souris, je redécouvre. Je tourne fébrilement les pages, avec la mine de quelqu’un qui brave un interdit, a brûlé la voiture du maire par erreur, qui a critiqué un artiste sans savoir que son interlocuteur était l’artiste en question et…c’est là que je repère une lectrice de quatre-vingts ans environ sur mon aile droite. Elle fixe la couverture, suivi d’un clin d’œil complice… Really ?

En caisse, je présente quatre ouvrages, dont trois de cuisine.  Pâtisserie et câlineries, pourquoi choisir?

Haut les cœurs !

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