Rencontre : RY X
Converser avec Ry Cuming, alias RY X, c’est mener un échange sincère sur ce qui anime son âme de musicien, la quête inlassable de l’amour, et plus encore.
Il se tient là, bien présent dans l’échange, souriant malgré le jet-lag (il vient de boucler une tournée US la veille).
Aimant à sagesse, l’orfèvre des ambiances feutrées-électro, aux allures de vieux sage, instille douceur et tendresse dans chacun des titres de son premier (et tant attendu) album, Dawn, qui sort aujourd’hui.
Rare artiste à parvenir à arracher des larmes à des auditeurs bien trop souvent anesthésiés par une pop sur-calibrée, il convoque les cœurs les plus sceptiques à une célébration des sens et du ressentir, sans fard.
Tu mènes plusieurs projets de front: RY X, The Acid, Howling. Est-ce que c’est un besoin pour toi, d’être sur différents postes ?
En termes de logistique, c’est difficile de mener plusieurs projets, de sortir des albums. De nos jours, faire de la musique reste un long processus, et prend énormément de temps et d’énergie. En même temps, cela reste une démarche naturelle pour moi, et non un besoin. Je veux faire les choses en toute sincérité, du plus profond de mon être: j’aime la musique, l’art, les nouvelles technologies, et j’essaie d’explorer ces domaines avec passion.
Ces projets, ce sont différents facettes de qui je suis. Ainsi, RY X est une version brute et dépouillée de moi, qui n’essaie rien d’autre sinon de jouer les chansons les plus pures possibles que les gens pourront emporter avec eux.
Tu laisses une grande place au silence dans tes titres…
Je pense que c’est la manière dont j’entends la musique. C’est tellement facile d’ajouter un son, de la batterie, et ainsi de ressembler à tout ce qu’on entend à la radio, peut-être. Clairement, tout le monde a envie de glisser sur cette vague pop-électro.
J’ai décidé de choisir une voie différente, qui, à notre époque, relève du courage: opter pour l’espace, celui qui se dégage des instruments. Il n’est pas question de remplir les chansons, plutôt que ma musique soit aimée dans sa forme la plus originelle.
Est-ce que c’est difficile de collaborer? Par essence, l’artiste évolue seul dans son univers, et, soudain, tu dois gérer les envies et idées de chacun…
Cela peut être difficile. J’ai un caractère plutôt fort, et, en studio, j’ai tendance à diriger le processus. Je pense que collaborer est plus facile lorsque tu as confiance en ceux avec qui tu travailles. La difficulté est d’apprendre à laisser les autres mener la danse, même si tu as ta propre vision des choses. C’est étrange: parfois, j’entends un son, et je sais que c’est une base de référence, un rythme, mais malgré tout, je dois apprendre la patience et prendre en considération les forces de chacun.
Parfois, c’est également difficile de travailler seul parce que tu n’as pas de limites: cela devient un long processus créatif. Au départ, pour l’album, je pensais à quelque chose d’électro, proche de l’univers de Björk et, finalement, c’est devenu plus naturel avec piano, guitare, orgue…
Qu’en est-il de lâcher prise, même quand tu ne parviens pas à aller là où tu voulais ?
C’est toujours délicat de partager un album, de le laisser partir…En studio, c’est plus facile, parce que je suis artiste et producteur. Si quelque chose ne fonctionne pas, on peut rembobiner et faire un autre essai.
Après, pour Dawn, cela a vraiment été moi assis seul dans une pièce, accompagné de ma guitare ou du piano, à enregistrer en live, puis à construire autour de cela. Du coup, tu te retrouves un peu coincé entre la difficulté d’être pleinement impliqué, et la peur de ne pas être libre. Mais pour cet album, tout a pris sens.
Je ne sais pas quel sera ma manière de composer dans l’avenir, mais j’ai en tout cas vraiment envie, pour ce premier album, qu’il soit la continuation de la pureté des titres que j’ai précédemment sorti, notamment Berlin.
L’EP Berlin date de 2013 : trois ans qu’on attendait ton album! Pourquoi est-ce que ça t’a pris autant de temps ?
J’ai sorti un album avec The Acid et avec Howling, donc j’étais plutôt concentré sur ces projets. En fait, j’ai sorti trois albums en trois ans! Maintenant, les gens sont toujours dans le speed, on a la maison de disque qui veut presser la sortie de l’album… Parfois, c’est agréable de prendre le temps.
Il y a aussi quelque chose de beau à avoir la confiance des gens. De voir toutes ces personnes écouter tous tes projets. Évoluer à leurs côtés est très gratifiant, plutôt que d’essayer de devenir une pop star. J’aime laisser la musique parler pour elle-même.
Sur ta page FB, j’ai lu le commentaire d’une jeune fille: elle décrivait comment Only l’avait accompagnée à un moment délicat de sa vie. Est-ce que tu te sens connecté à toutes ces personnes qui te suivent sur les réseaux ?
Je me sens connecté aux gens. Les réseaux sont désormais un mode de communication, comme si on t’écrivait une lettre. Je n’en suis pas un grand amateur, mais je pense que si cela te semble naturel, vas-y. Reste que cela doit être un dialogue honnête: les gens sentent lorsque que ce n’est pas juste une maison de disques qui communique avec eux.
Je reçois des messages magnifiques de gens m’expliquant comment ma musique les a accompagnés dans des moments difficiles ou beaux de leur vie…Je suis honoré d’imaginer que ma musique puisse faire partie de la vie des gens. C’est la raison pour laquelle je fais de la musique.
Tes chansons sont universelles, délicates, justes, comme si tu avais été le témoin de nos existences…Est-ce qu’on pourrait te considérer comme une vieille âme (old soul) ?
Je pense que j’ai trouvé un moyen d’arrêter de me juger et juste d’exprimer des sentiments vrais, connus. Les gens se sentent connectés à ma musique parce qu’il s’agit de vraies expériences humaines. J’ai vraiment le sentiment que j’ai déjà bien vécu ma vie. J’ai quitté la maison à 16, 17 ans, et depuis, j’ai sillonné le monde.
Je me sens connecté à la Terre, j’ai essayé différentes choses, un peu comme cet homme de la Renaissance qui étudie à fond différents sujets. J’ai voyagé, surfé, passé beaucoup de temps dans des pays sous-développés, pratiqué diverses spiritualités.
J’ai suivi mon cœur, ce qui peut être difficile. La structure normale de la société, c’est un travail, posséder des trucs, payer un loyer, et cela semble parfois plus simple que de lutter contre ça. Mon choix a toujours été de contourner le système et non d’en faire partie, de sorte que j’ai toujours vécu pleinement mes expériences amoureuses, sensuelles, de voyage. L’amour est l’élément clé.
C’est ce que nous sommes quand on se libère du travail, de l’argent: des êtres sensuels qui veulent expérimenter, avoir de l’amour dans leurs vies. Et c’est ce que je veux: rester moi-même et communiquer cela à travers mes chansons.
Cette recherche d’amour, d’inspiration, ce sont les lignes directrices fortes de ton album ?
L’équilibre entre mon envie d’expériences sensorielles profondes (en terme de relations humaines, de nourriture, de vie, d’environnement) et d’essayer de les vivre vraiment, autant que possible, c’est tout cela que j’ai mis dans ce disque. J’y explore les méandres de l’amour.
L’amour est comme un immense terrain de jeu avec, pour extrémités, être amoureux, choisir de rester amoureux, vivre une passion. Les nombreux aspects du désir, de l’amitié, la famille, nous l’explorons tout au long de notre vie. Et c’est sûrement assez rare qu’un homme se livre pleinement, à ce propos.
Une sorte de “retour à la nature”, en somme ?
Une de mes amies, qui vit entre NY et le Montana m’expliquait qu’elle avait appris que des Amérindiens s’efforçaient de voir les immeubles comme des montagnes, et les rues comme des vallées, de changer leur expérience des choses.
Aujourd’hui, je suis à Paris, le soleil commence à apparaître, et je vis ça pleinement. Ce n’est pas toujours facile mais je pense que c’est ainsi que mon cœur voit la vie. J’ai grandi en Australie, proche de la nature, et je pense qu’il y a en moi, intact, une personne authentique qui me permet de voir les choses légèrement différemment.
Est-ce que tu peux me parler de la vidéo de Only? Tu as eu beaucoup de retours? Tu l’as co-réalisé avec Dugan O’Neil…
Dugan est un de mes meilleurs amis, et il est réalisateur à LA. C’est vraiment le réalisateur traditionnel, et nous avons beaucoup travaillé ensemble ces derniers temps.
J’aime l’esthétique, les films, la photographie, et je pense que s’accomplir en tant qu’artiste, c’est pourvoir s’exprimer via différents supports, notamment en devenant réalisateur. Réaliser m’est venu naturellement parce qu’il y est question d’avoir une idée, une vision, et quand, en plus de cela, tu as un groupe de personnes présentes pour t’aider à mettre en forme cette vision…
Je suis vraiment ouvert: en général, les réalisateurs ont toujours des feuilles, des notes…
Pour ma part, cela a été de marcher à travers la pièce, et de savoir que j’avais mes amis autour de moi. L’un d’entre eux est une danseuse géniale, un autre un super directeur photo, on avait une caméra au top, des personnes géniales pour nous aider, on a demandé à d’autres amis des lieux où tourner…Une autre de mes amies est peintre, et c’est elle qui a peint les vêtements et la voiture. L’autre femme, dans la vidéo, est une ex-petite amie avec qui j’ai eu une relation il y a de ça plusieurs années, une incroyable artiste.
Durant le tournage, il a vraiment été question de réunir toutes ces personnes qui font partie de ma vie parce que je les connais, ce sont des artistes géniaux et les mettre devant la caméra m’a semblé naturel. Je n’ai pas eu des acteurs à diriger, qui devaient feindre. Tout était naturel, et j’ai eu confiance en chacun d’eux.
Le concept de la vidéo, c’est un équilibre entre laisser les choses suivre leur cours, même lorsque tout devient un chaos total. Tu sais, si je tombais par exemple de cette chaise, je ne sais pas trop ce que je déciderais: flipper, ou juste vivre pleinement ce petit moment de chaos.
Dans la vidéo, on a exploré ça et on ne savait pas ce qui pouvait se passer. Nous avons laissé l’énergie s’exprimer plutôt que de suivre une narration, ce qui a donné un film court plutôt qu’un simple clip.
Nous allons en faire une version plus longue, 12 à 20 minutes, avec de nouvelles images, danses. J’ai eu de magnifiques retours d’amis, me disant “je viens juste de voir la vidéo, je n’ai pas pu m’arrêter de pleurer, je ne sais pas pourquoi, ça m’a touché en plein cœur. A ce moment là tu te dis, “j’ai fais le boulot”.
Albert Camus a écrit: “ rechercher ce qui est vrai, ce n’est pas chercher ce qui est désirable ”. Parfois, as-tu adopté la démarche de séduire ton public ?
Je pense que c’est dans un coin de la tête de tout artiste. Mais c’est aussi le boulot de l’artiste que de ne pas céder à ça. J’y ai peut-être pensé, au début, et puis en fait non, et j’ai été surpris de constater qu’écrire des chansons pouvait être aussi facile, mais, en aucun cas, ce n’est un truc “cool”. Parce que, d’une certaine manière, beaucoup de gens pensent que RY X, c’est “cool”.
Un très bon ami, Rodrigo Amarante, et moi, parlions une fois de la chose la plus courageuse qu’on pourrait accomplir, en tant qu’artistes. Pour lui, ça a été de sortir un album de chansons folk brésiliennes…donc, être sincère et libre de tout artifice, je crois que c’est le plus important, dans la création.
Et pour finir :
- Philip Roth ou Philipp Morris?
Philipp Morris
- Meilleure chanson de tous les temps?
“All is full of love” Björk
- Chiot ou ours?
Ours
- La pire chanson que tu aies entendu?
Tout ce qui vient de l’univers pop-calibré
- La procrastination et toi, c’est comment ?
Seulement si c’est fait en méditant
- Une île au soleil, ou Berlin ?
Une île au soleil
- Hippie ou hipster ?
Hippie
- Essayer d’être cool, ou agir comme un idiot ?
Un équilibre entre les deux, mais j’aime l’idée d’agir comme un idiot
- Je suis en manque…
…de simplicité
- … mais je t’aime
Il ne devrait jamais y avoir de “mais” avant “je t’aime”, du coup, je dirais plutôt: “je suis désolé, je dois partir ET je t’aime”
- dernière fois que tu as dit “désolé” à quelqu’un ?
Sincèrement, hier
- Surfer ou voler ?
Surfer
- Sex on the beach ou Old fashion whisky ?
Ah, ça, c’est facile! Sex on the beach, bien sûr! (rires)
- Aimer, ou être aimé ?
Aimer
L’album : Dawn, RY X (Infectious Music)
(Article paru pour la première fois dans Beware Mag le 06/05/2016)