Chroniques

Dimanche, 14h

Ses mocassins vernis sont prêts, son cartable aussi.

Il n’est que quatorze heures, en ce dimanche après-midi. L’air est encore très doux, quelques papillons blancs parsèment l’horizon comme autant de perles nacrées flottantes. Un fort parfum de pommes cuites gagne le salon, où elle se réfugie les jours entre parenthèses tels que celui-ci. Ces jours durant lesquels rien ne semble plus envisageable, sinon faire place nette pour le lendemain.

Depuis le réveil, elle ne songe qu’à cela : nouvelles têtes, nouveaux lieux. Elle a envisagé tous les itinéraires possibles, mais, rien n’y fait, le lieu où elle se rend est irrémédiablement lointain. Elle s’est préparé une playlist pour le chemin : juste des titres instrumentaux, elle aura déjà bien assez de bavardages intempestifs à supporter dans les transports en commun.

Sa tenue est suspendue sur un cintre dans la chambre et le simple fait de la contempler la ramène à une angoisse singulière, ancienne : l’odeur des crayons de couleur, les stylos à plume neufs aux capuchons bien coincés, dont l’encre tarde toujours à imbiber le papier. Les couvertures colorées des différents cahiers, encore vierges de tout gribouillage, les feuilles doubles, prêtes à accueillir les notations et autres remarques impitoyables.

Elle quitte le balcon un instant pour coller son nez contre la porte brûlante du four. Les pommes gratinent paisiblement, resserrées les unes contre les autres grâce à une crème d’amandes; la croûte formée par la pâte brisée l’imprègne d’une bouffée d’assurance pure, déjà remplie de ce goûter en gestation.

Dans la rue, quelques irréductibles semblent faire fi de l’échéance à venir. Le parc est rempli d’enfants et d’adolescents de tous âges, en tee-shirt malgré l’air rafraîchi. On se bouscule, les ballons rebondissent toujours trop prêts des visages des passants, les trottinettes se lancent dans des courses-poursuite perdues d’avance avec des automobilistes terrifiés, on détourne son portable en ghetto-blaster surpuissant. On esquisse quelques pas de danse au son d’un rap virtuose malgré une poignée de paroles relativement irritantes. On s’applique à transgresser l’espace sanctuarisé du dimanche pour répéter un irrésistible tropisme : se caler dans un canapé, et contempler la fuite d’une journée qui, dès l’aube, semble déjà achevée.

Des gros nuages gris enserrent les rayons du soleil, laissant régner une ambiance en demi-teinte, entre grisaille et élancées bleutées comme arrachées à la torpeur dominicale. Sa peluche fétiche trône sur le canapé-lit du salon, près de la bouillotte qu’elle se collera sur le ventre avant de s’endormir, histoire d’atténuer tant les premiers effets du stress, que les réminiscences sucrées de ses amours de vacances.

En ce mois de septembre, la voici encastrée sur son petit bout de balcon, entre deux pots de thym odorant et un tournesol, survivant miraculeux de plusieurs épisodes caniculaires. Son agenda neuf est déjà couvert de listes en tout genre : courses, vêtements à remplacer, chaussures, personnes à contacter, anniversaires à préparer…ces pages noircies la remplissent. Elle ressent la connexion silencieuse qui opère entre chaque membre de la masse laborieuse qui, sous les toits voisins, se prépare au tourbillon à venir.

La sonnerie du four l’arrache à sa rêverie ; elle sort une assiette à dessert, pose sur sa platine un album de Nat King Cole. Allez, haut les cœurs, soupire t’elle à voix haute, en tirant une longue bouffée sur sa cigarette électronique.

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