La playlist du we #2
Pourquoi suis-je très souvent attirée par des voix masculines ? En faisant le tour de mes playlists (et j’en ai beaucoup trop un certain nombre) (j’évoquerai un jour ce besoin quasi-compulsif de baliser ma vie d’une bande-originale constante), j’ai découvert que la majorité des artistes que je plébiscite sont des hommes. Une simple question de goût, ou un choix genré bien ancré ?
Dans son ouvrage « Masculinity, Class and Music Education : Boys performing middle class masculinities through music », Clare Hall questionne la voix masculine à travers l’enseignement de la musique, notamment auprès des enfants de chœur. Elle rappelle combien notre écoute peut être abusée par le poids des stéréotypes : on identifie un corps masculin derrière une voix grave, et une voix de femme vers un ton plus aigu…Un classement rassurant qui ne froisse pas l’ordre établi phallocentrique et participe à la construction des symboles de la classe dominante (vous ne regarderez plus jamais « Les Choristes » de la même manière).
Mais mon goût pour ce type de voix n’a rien à faire des tonalités : soprane ou ténor, j’aime les voix de mecs pour leur extranéité, comme un ailleurs un peu vague, un certain exotisme. Peut-être une façon de m’éloigner de mes projections sur les artistes féminines aussi, auxquelles je me compare sans oser l’admettre : me plonger dans un autre genre donnerait aux éraflures de mon ego un peu de répit…
Désormais, je n’aspire qu’à faire bouger mes lignes intérieures, en décidant de considérer ces femmes telles des sœurs, des alliées, et non des frontières idéalisées, impossibles à rejoindre.
Ainsi, je réapprends, après tant d’années d’écoute musicale, à favoriser les œuvres de femmes : je lis leurs paroles, me plonge dans leurs parcours… La sexualisation de certaines, parfois plus choisies qu’imposées (je pense à une Lizzo, ou Lana Del Rey), ne me gêne pas : elle me rappelle que le corps des femmes, dans tous ses contours, ses diversités, reste une œuvre en soi et à soi, à couvrir ou à dévoiler à l’envi. Toutes ces artistes sont des éclaireuses qui balisent le chemin, et rendent le voyage bien plus aventureux, et profond, qu’on ne l’avait imaginé au départ.
De l’idée d’un certain sexisme dans la diffusion de la voix masculine en musique, cela vous a t’il déjà traversé ? Dites-moi ce que vous en pensez !
En attendant, voici mes coups de cœur pour ce we :
- Something, Phylis Dillon (Trojan Records) : écrit par Georges Harrison, je l’ai découvert grâce à une cover que je ne retrouve plus (malgré 1h de recherches)…Celle-ci, tout en groove, est tout aussi enchanteresse ;
- What’s your pleasure, Jessie Ware (Virgin EMI) : je suis tombée amoureuse d’elle depuis l’album Devotion et puis complètement oubliée, en toute ingratitude. Ce titre Kilyeminoguesque est mon guilty pleasure du week-end ;
- Betty, Pa Salieu (Warner Records) : le natif de la banlieue de Birmingham, originaire de Gambie, m’a conquise dès les premières notes,avec son hip-hop embrassant pleinement ses racines africaines. Un titre court, efficace, grave, tout ce que j’aime en matière de rap est là ;
- Sunny Afternoon, Benny Sings (Stone Throw) : une douceur comme sait si bien les concocter Benny, qui, depuis, Passionfruit, n’en finit pas d’accompagner ma routine dominicale ;
- Run That Body Down, Paul Simon (Legacy Recordings) : j’ai remis, retiré, puis remis ce titre dans cette playlist. Déjà, parce que Paul Simon. Ensuite, parce que Paul Simon. Enfin, pour tout ce que cela évoque : le corps qui craque, la tête qui refuse d’écouter ce que le corps lui rappelle, et l’intelligence mélodique de ce guitariste-virtuose ;
- Daisy, Anna St. Louis (Woodsist/Mare) : on y est, dans le bayou, les mollets dans l’eau, à regarder les saisons s’écouler au gré de la couleur des arbres. Son sublime fingerpicking, ses mélopées relevant d’une incantation chamanique, je pose ça là, vous m’en direz des nouvelles ;
- Jealous Guy, Donny Hathaway (Rhino/ Warner) : le titre a juste été composé par John Lennon (3ème piste de l’album Imagine) hein, voilà, voilà. Il s’agit de son morceau le plus repris, par Roxy Music et Youssou N’Dour, notamment. La voix angélique de Donny fait le reste ;
- Both Sides Of The Moon, Celeste, Gotts Street Park (Polydor Records) : le premier album de Celeste, paru en 2019, n’en finit pas de faire parler de lui. Ce titre, ode à un amour-plaie, auquel nous pouvons tous nous reconnaître, surtout le soir, quand tout s’apaise et que le souvenir des tendresses anciennes ressurgit ;
- Stundum, Moses Hightower : quand des Islandais se piquent de pop-soul, cela donne un titre (« quelque fois » en français) gorgé d’une fière joie de vivre, comme celui-ci.
- Weird Fishes, Lianne La Havas (Warner Records) : ah oui, oui, un de mes titres favoris de Radiohead (In Rainbows) qui, avec cette cover de Lianne – talentueuse, inspirante, magnifique – atteint un nouveau niveau de perfection.
Image cover : Celeste par Robin Joris Dullers