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“Mes beaux habits au clou”: les mélodies en clair-obscur de Langston Hughes

Le recueil de poèmes Mes beaux habits au clou de l’auteur américain Langston Hughes, édité en début d’année chez Joca Seria, donne à découvrir un style acéré et subtil, comme un refrain que l’on fredonnerait depuis son enfance en ayant oublié d’où il nous vient.

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Première de couverture du recueil, ed. joca seria

Au départ, ce que j’ai aimé, c’est le titre. Mes beaux habits…une tenue de soirée, le costume pour l’office dominical, la robe que l’on ne revêtira que pour cet instant précis. Je me suis enveloppée dans la cadence de ces cinq mots en attendant de recevoir l’ouvrage.

Mes beaux habits au clou… La chute est aiguë. Le clou, c’est le synonyme d’un quotidien qu’on connaît mal. C’est le mont-de-piété, là où l’on dépose bijoux, montres de collection contre un peu de liquidités, jamais assez. Tous ceux qui s’y rendent se font le serment d’y revenir, vainqueurs des coups du sort, pour récupérer leur bien dans le délai imparti. Mais la vie prend parfois de ces détours… 

Langston Hughes (1901-1967) fut notamment poète, dramaturge, activiste, et membre actif du mouvement baptisé « la Renaissance de Harlem ». Mes beaux habits au clou sera son second recueil, et présente six parties (Blues, Railroad Avenue, Glory ! Halleluiah !, Beale Street Love, From The Georgia Roads, And Blues), comme autant de fragments du Harlem des années 20.

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Vitrine d’un prêteur sur gage, USA circa 1920

Le titre original, « Fine Clothes to the Jew », renvoie à une expression courante à l’époque, reflet d’un racisme par raccourci, dans cette Amérique sclérosée par la ségrégation, où il est fréquent que les prêteurs sur gage soient de confession juive.

Dès lors, avoir focalisé le titre sur l’activité plutôt que l’identité supposée de celui qui la mène, c’est déjà révéler les trésors de subtilité et d’empathie que requiert l’exercice de traduction, ici menée par Frédéric Sylvanise.

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Langston Hughes, par Gordon Parks (1943), Library of Congress.

Car la spécificité de la maison Joca Seria, c’est d’avoir ajouté à son catalogue une collection américaine (dirigée par Olivier Brossard), proposant des poèmes en langue originale, traduits en français. Comme face à un miroir un peu trouble, le poème, s’il se reflète dans le français, conserve les codes de l’idiome originel tout en s’adaptant, avec une virtuosité singulière, à nos habitudes linguistiques. Aucun risque de perdre une goutte de l’essence première : tout le parfum, intact, s’épanouit au fil des pages.

Enfances paumées (Baby), amours maudits (Beale Street Love), fièvres délirantes (Fire), le quotidien d’une population cassée, humiliée (Brass Spittoons) est dépeint sans ambages, avec cette drôlerie caustique (Bad Luck Card) qui n’appartient qu’à l’auteur. Ici, le profane règne en maître : mort (Suicide), prostitution (Red Silk Stockings), enfant illégitime (Mulatto), tout le terrible d’un temps tourmenté est là, quarante ans avant que la lutte pour les droits civiques n’arrache l’ouverture des bureaux de vote aux Noirs américains.

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Billie Holiday, entourée de Ben Webster (gauche) et Johnny Russell (droite) à Harlem, en 1935 (JP Jazz Archive, Redferns)

En refermant « Mes beaux habits au clou », on en ressort un peu sonné par l’uppercut qui vient de nous être asséné. Plus que des poèmes, ce recueil propose un langage nouveau, déjà inédit à l’époque de sa publication. Loin de l’académisme occidental, Hughes façonne une rythmique implacable pour décrire le quotidien précaire des classes populaires noires. L’ombre de la légende du Mississipi Robert Johnson plane sur des textes construits comme des titres de blues, tandis que les maux, intarissables, demeurent.

Singulièrement, Mes beaux habits au clou donne à connaître les autres usages de la poésie classique : loin des descriptions bucoliques et autres interminables romances, il se veut le témoin de vies renégates, parfois scélérates, et surtout, fièrement noires.

Et malgré l’amertume corrosive, une certaine idée de la douceur parvient à émerger, comme un baiser glacé en pleine canicule. En témoigne le sublime Sun Song :

Sun and softness,

Sun and the beaten hardness of the earth,

Sun and the song of all the sun-stars

Gathered together-

Dark ones of Africa,

I bring you my songs

To sing on the Georgia roads.

Chanson du soleil

Soleil et douceur,

Soleil et dureté battue de la terre,

Soleil et chanson de toutes les étoiles-soleil

Réunies :

A vous, hommes foncés d’Afrique

J’apporte mes chansons

A chanter sur les routes de Géorgie.

Mes beaux habits au clou

De Langston Hughes

Traduction et postface de Frédéric Sylvanise

Editions Joca Seria

En savoir plus : http://www.jocaseria.fr/

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