Chroniques

La tartine

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Les cheveux ressemblant à s’y méprendre à un nid d’hirondelles, vous n’avez pas entendu le réveil, enfoncé comme vous l’étiez sous la masse mousseuse de votre édredon. Vous émergez lentement ; à vos tympans fredonne encore la cohue du Bus Palladium d’il y a quelques heures à peine.

Lorsque vous parvenez enfin à ouvrir une paupière, une heure s’est encore écoulée.
Vous vous arrachez de vos draps: vos jambes se figent, le contraste de température manque de vous faire hurler. Le t-shirt constellé d’une substance inconnue, vous voilà titubant vers la cuisine, les bras tendus, telle une momie vers un pilleur de pyramide.

Une dosette et le café est en route. Un pied?! Le détail ne vous était pas paru de taille au réveil mais à présent, les yeux rivés sur la machine à café, vous réalisez qu’il y avait bien un pied, hors de la couette. Sûrement un effet d’optique, vous dîtes-vous.

Le temps de vous verser un second bol du nectar fumant, un grincement vous fait tressaillir. C’est que, avec votre caleçon de secours, vous n’êtes plus le tombeur absolu de la veille. Le froid polaire de la rue vous fait abandonner l’idée d’une fuite jusqu’au bar du coin de la rue. Et votre récente nouba vous a privé, pour longtemps, de tout secours éventuel du côté de votre voisine du dessous.

La porte qui s’ouvre. Un pied, le haut d’une cuisse, puis un visage.
La forme vous parle. Y aurait-il du café chaud pour elle ? Vous hochez la tête et lui en servez une grande rasade, histoire qu’elle ne parle pas pour un bon moment. Sauf qu’en fait, non, elle ne dit rien. Elle boit en silence, aussi discrète qu’une ombre. Et, de façon surprenante, ce mutisme ne vous pèse pas, tout comme son joli minois.

C’est à cet instant précis que vous la repérez.
Elle avait été tranchée la veille, pour une convive de passage qui avait lâchement déserté la maisonnée en ”oubliant” de laisser son numéro de téléphone. Elle avait été disposée sur un plateau, pour l’ami féru de beurre demi-sel, qui avait finalement opté pour un Granola. Elle avait failli être recouverte de miel pour une nièce dont la visite avait été reportée.

Vous dégainez votre pot de crème chocolat-noisettes avec une certaine fierté. Est-ce qu’une tartine lui dirait ? La forme, devenue soudain personne, semble hésiter. Et vous vous sentez soudain l’air stupide, votre tranche de pain entre les doigts.

Elle fixe votre proposition d’un air effaré. Une tartine ? Non, elle ne se sent pas prête à s’engager pour le moment, sort d’une rupture difficile et commence à peine à se sentir équilibrée. Vous lui précisez qu’il ne s’agit là que d’une tartine au chocolat, et que si elle préfère, vous avez aussi de la confiture d’abricots. Elle se lève, les joues cramoisies, la voix tremblante. Pas prête murmure t’elle, pas prête ! Ne faudrait-il pas apprendre à se connaître d’abord ? Dans votre main, le pain pèse une tonne.

Elle se saisit de son grand manteau, s’y love et empoigne son sac à main posé là. La reverrez-vous? osez-vous lui demander, alors qu’elle franchit le seuil de votre porte. Elle lance un terrible “on s’appelle bientôt!”. La tartine vous en tombe.

Crédit photo@laboiteverte.fr et Calum Lewis (on Unplash)

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